La Cour Constitutionnelle tranche : plus de régime de droits d'auteur pour les développeurs de logiciels

La Cour Constitutionnelle tranche : plus de régime de droits d'auteur pour les développeurs de logiciels

28 mai 2024

Le Ministre des Finances Vincent Van Peteghem obtient gain de cause : le régime fiscal des droits d'auteur pourrait être limité par l'exclusion de certains professions. Une perte financière pour de nombreux employés et employeurs du secteur TIC, mais l'incertitude juridique demeure pour tous les talents créatifs de notre secteur digital. Sirius Legal a analysé l'arrêt de la Cour Constitutionnelle et partage son impact sur les agences digitales et les professions créatives.

Le traitement fiscal des droits d'auteur en Belgique a connu une évolution radicale ces dernières années. Autrefois paradis fiscal attrayant, avec un taux favorable de 15 % pour les revenus des droits d'auteur, le régime a été drastiquement durci en 2023.

Le comment et le pourquoi de ce durcissement ont fait l'objet de nombreux débats et Sirius Legal a tenté de peser sur le processus législatif avec son fidèle partenaire, la FeWeb. Le résultat de ce processus législatif n'a pas été ce que beaucoup de professions créatives avaient espéré et les développeurs de logiciels en particulier se sont sentis, à juste titre, visés par les nouvelles règles. Après tout, leur travail était de facto largement exclu du régime favorable, ce qui a conduit à une tempête parfaitement compréhensible de protestations et de procédures judiciaires.

Ces protestations ont finalement abouti à un certain nombre de procédures devant la Cour Constitutionnelle, dans lesquelles un certain nombre de développeurs de logiciels ont tenté de faire valoir que leur exclusion du régime favorable était inconstitutionnelle. La semaine dernière, le verdict, difficile à accepter pour beaucoup, est tombé : l'exclusion des développeurs de logiciels ne viole pas le principe d'égalité inscrit dans la Constitution. Parallèlement à cette décision formelle, nous lisons également dans l'arrêt que le gouvernement estime que le régime devrait être interprété de manière encore plus restrictive.

Quel est l'impact ? Nous l'examinons avec vous ci-dessous.

Un régime fiscal favorable pour les redevances de droits d'auteur ?

Le régime fiscal favorable aux redevances de droits d'auteur a une histoire longue et mouvementée. Il a été introduit en 2008. Son principe était simple : ceux qui créaient des œuvres protégées par le droit d'auteur et en tiraient des revenus pouvaient, jusqu'à un certain seuil adapté annuellement, bénéficier d'un traitement fiscal favorable de ces revenus sur la base d'un précompte mobilier de 15 % au lieu des barèmes normaux de l'impôt sur le revenu. Comme il était également possible de prendre en compte des montants forfaitaires de frais, la charge fiscale nette sur ces revenus était limitée à un taux compris entre 9 et 11 %.

Ce régime repose sur l'idée que les revenus des droits d'auteur sont souvent irréguliers et incertains, et qu'un taux réduit compense ces risques. En outre, il reconnaissait que les œuvres créatives apportaient une contribution importante à la société et méritaient donc un soutien fiscal.

Ajustement sous pression en 2023

Pendant des années, le système a fonctionné sans problème majeur. Mais avec l'essor de l'économie digitale et l'internationalisation croissante du marché des droits d'auteur, de nouveaux défis sont apparus. Les législateurs ont dû constater que le régime était utilisé non seulement par les musiciens, les écrivains et les acteurs, mais aussi - et surtout - par les développeurs de logiciels, de jeux vidéo et de contenus en ligne.

Suite aux protestations des « vrais artistes », qui estimaient que « leur » système était détourné par des employés de sociétés commerciales, le régime a été réformé à partir du 1er janvier 2023. Le Ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) souhaitait ainsi - selon ses propres termes - remédier aux « abus » de ce régime et le limiter aux « vrais » artistes.

La réforme a entraîné un durcissement significatif, en particulier pour les développeurs de logiciels, sur la base de l'argument complètement faux selon lequel le code logiciel n'est pas une « véritable » œuvre protégée par le droit d'auteur, parce que la protection des logiciels est (était) réglementée par une loi distincte créée après la loi sur le droit d'auteur proprement dite. Les logiciels sont donc « différents » des autres créations et nous pouvons donc les traiter différemment. Sirius Legal a expliqué pourquoi il s'agit d'une erreur fondamentale dans un blog datant de novembre 2022. 

Après tout, la seule raison pour laquelle une loi distincte sur la protection des logiciels était nécessaire à l'époque était que les logiciels n'existaient pas lorsque la loi sur le droit d'auteur a été rédigée et que cette dernière devait donc être adaptée à la nouvelle réalité technologique. La directive et la loi sur la protection des logiciels placent explicitement les logiciels sur un pied d'égalité avec les autres créations protégées par le droit d'auteur.

Le régime actuel

Le nouveau régime tel qu'il existe depuis le 1er janvier 2023 part d'un certain nombre d'hypothèses qui diffèrent néanmoins sensiblement de l'ancien régime :

  • il doit y avoir une licence ou un transfert d'œuvres en échange d'une rémunération ET
  • l'auteur doit, pour bénéficier du régime
    • soit disposer d'un certificat d'artiste (ce qui exclut de facto de nombreuses professions)
    • soit prouver que son œuvre est destinée à être communiquée à un large public OU à être reproduite.

Il est à noter que la loi ne dit pas explicitement que les logiciels sont exclus du système de faveur. C'était d'ailleurs la position du ministre lors des débats qui ont précédé la modification de la loi. L'intention n'est pas d'exclure déjà de facto certaines professions, et chaque cas doit être examiné individuellement. Cela signifie que même les développeurs de logiciels pourraient tomber sous le coup du régime s'ils pouvaient démontrer que leur logiciel était destiné à être communiqué à un large public (par exemple, à notre avis, dans le cadre d'un service en nuage largement accessible) ou s'il était destiné à être reproduit (applications logicielles « prêtes à l'emploi »). Seul un développement sur mesure commandé par une entreprise spécifique pour un usage interne serait probablement hors de question de cette manière. En effet, il n'est pas destiné à un large public et n'est pas reproduit (copié) en grand nombre.

Peu après la publication de la loi, cependant, il s'est avéré que les propos rassurants selon lesquels « personne ne serait exclu par définition » étaient, comme souvent, à prendre avec des pincettes, et le ministre et l'administration ont rapidement été convaincus que la loi devait être lue de telle manière que le développement de logiciels serait complètement exclu du régime favorable.

C'est pourquoi de nombreux développeurs ont saisi la Cour Constitutionnelle de la question très spécifique de savoir si la modification législative telle qu'elle entrera en vigueur le 1er janvier 2023 « dans la mesure où elle doit être interprétée en ce sens qu'elle exclut les programmes d'ordinateur du champ d'application » serait contraire au principe d'égalité de la Constitution, qui garantit l'égalité de traitement à tous les Belges dans les mêmes circonstances de fait.

La procédure devant la Cour Constitutionnelle

En d'autres termes, la question était la suivante : le gouvernement et l'administration peuvent-ils interpréter la modification législative du 1er janvier 2023 de manière si restrictive qu'elle exclut par définition le développement de logiciels du régime ?

L'arrêt n° 52/2024 dont nous sommes saisis aujourd'hui confirme qu'une telle interprétation est effectivement permise, car le code logiciel et les autres œuvres créatives ne seraient pas les mêmes au regard du droit d'auteur. Malheureusement, la Cour constitutionnelle a ainsi rejeté les objections contre la discrimination à l'égard des développeurs de logiciels.

La Cour a estimé que la distinction entre le développement de logiciels et d'autres formes de droits d'auteur était justifiée parce que le développement de logiciels a souvent lieu dans un contexte d'emploi et offrirait moins de liberté créative.

L'avis de Sirius Legal et de la FeWeb : une erreur judiciaire et un manquement à l'éthique !

Nous avons déjà indiqué que la distinction faite actuellement du point de vue du droit d'auteur est une erreur fondamentale et, en ce sens, cet arrêt est une occasion manquée d'obliger les autorités fiscales de ce pays à appliquer correctement le droit d'auteur et donc à assimiler explicitement les logiciels à toute autre œuvre créative. Considérer le développement de logiciels comme moins créatif que d'autres formes de droits d'auteur est une aberration juridique. Chaque ligne de code, chaque algorithme, est le résultat d'un travail intellectuel et d'une créativité. D'ailleurs, la frontière entre l'art et le code logiciel devient de plus en plus floue. L'art digital, la création pilotée par l'IA, les graphismes époustouflants des jeux vidéo, rendent a priori obsolète toute distinction entre droit d'auteur digital et analogique.

De plus, il est éthiquement inacceptable de faire une distinction entre différents types d'auteurs. Le droit d'auteur est censé protéger toute expression créative, quelle que soit sa forme ou son contenu.

"On devrait pouvoir attendre du gouvernement qu'il soit juste, clair et transparent : après tout, c'est ce qu'il exige des citoyens et des entreprises. En adaptant le régime fiscal des droits d'auteur de manière détournée et au pas de course, en manquant de clarté quant au champ d'application tant pour le Parlement que pour les auteurs et leurs employeurs et en ne faisant pas preuve de transparence par le biais de décisions, le gouvernement crée une incertitude juridique et manque à son devoir de gouvernement", estime Patrick Marck, directeur de la FeWeb.

Les conséquences pour les développeurs de logiciels : une pilule amère

Cependant, la décision est ce qu'elle est et les développeurs de logiciels du monde entier devront se faire à l'idée qu'ils ne pourront plus bénéficier de l'avantage fiscal lié au régime des droits d'auteur. La décision est sans aucun doute une pilule amère pour les développeurs de logiciels en Belgique, qui sont déjà confrontés à une très forte concurrence de l'étranger et aux coûts salariaux très élevés qui pèsent sur toutes les entreprises de ce pays. Nous avions également indiqué à l'époque que des coûts salariaux encore plus élevés dans le secteur des logiciels pourraient à terme provoquer une fuite des cerveaux, les développeurs talentueux quittant le pays pour des pays où le climat fiscal est plus favorable ou pour des activités de dél

Qu'est-ce que cela signifie concrètement pour les développeurs ?

Pour les développeurs de logiciels qui écrivent effectivement du code logiciel, la situation est claire : leur travail n'est plus assimilé à des créations protégées par le droit d'auteur et ils ne peuvent plus prétendre au régime favorable. Pour les exercices d'imposition 2023 et 2024, ils peuvent toutefois encore compter sur un régime transitoire qui leur permet, pour l'exercice 2024, d'utiliser le système jusqu'à 50 % du seuil normal (35 000 euros au lieu d'environ 70 000 euros) et où la déduction des frais est également réduite de moitié. À partir de l'exercice 2025, ils seront définitivement éliminés.

Et pour toutes les autres professions créatives apparentées ?

Bien que la décision ait principalement un impact négatif sur les développeurs de logiciels, elle peut offrir une lueur d'espoir pour d'autres professions liées aux TIC. Les graphistes, UX designers, web designers, rédacteurs et autres professionnels créatifs qui contribuent au développement de logiciels, d'applis ou de sites web, mais qui ne se contentent pas d'écrire du code logiciel, pourraient bien encore bénéficier du régime favorable. Ce sera le cas dès lors que l'on pourra démontrer qu'il existe une autre forme de création que le code logiciel pur. Il peut s'agir, par exemple, des éléments graphiques d'une interface utilisateur, de la présentation d'un site web, du contenu textuel d'une application ou de la musique originale ou des clips sonores utilisés dans un programme logiciel. En effet, ces éléments peuvent faire l'objet d'un droit d'auteur distinct de la protection du logiciel et, par conséquent, être protégés par le droit d'auteur.

Cependant, il est important de souligner que l'évaluation de ce qui relève ou non du régime favorable peut être complexe et dépend des circonstances spécifiques de chaque cas. Dans ce contexte, il est inquiétant de constater que les arguments de l'État belge devant la Cour Constitutionnelle visent manifestement à aller beaucoup plus loin que la simple exclusion du code des logiciels. Le gouvernement semble considérer que le nouveau régime n'est destiné qu'aux « vrais artistes » (titulaires d'un certificat d'artiste) et que la deuxième possibilité, alternative, d'invoquer le régime de faveur en cas de communication au public ou de reproduction n'est qu'une exception supplémentaire pour les quelques artistes qui ne disposent pas d'un certificat d'artiste. Ce n'est donc plus le cas pour d'autres professions, parce que ces autres professions en particulier ne souffriraient pas de la même manière de la fluctuation des revenus et donc de l'insécurité des revenus.

Ce faisant, le gouvernement va bien au-delà du texte de loi et prend une direction tout à fait différente de ce qui ressortait des débats parlementaires de l'époque. Il est évident qu'il n'appartient pas au législateur de soumettre sa propre législation à un jeu d'interprétation post factum et à sa guise, et la question est de savoir dans quelle mesure elle serait effectivement applicable de cette manière. En tout état de cause, la Cour Constitutionnelle ne se prononce pas sur cette question et se contente de répondre à la question spécifique posée.

Peut-on encore bénéficier de l'avantage fiscal si l'on n'est pas un « artiste » ?

Pour l'instant, cette question n'est pas facile à répondre. Il est désormais clair que les développeurs de logiciels sont au bout du chemin. Pour les autres professions, qui peuvent démontrer qu'elles créent des œuvres protégées par le droit d'auteur destinées à être communiquées à un large public ou à être reproduites et qui sont soit concédées sous licence, soit transférées à un tiers contre rémunération, rien ne s'oppose à la poursuite de l'application du système, du moins si l'on s'en tient à la lettre de la loi.

Mais la lettre de la loi est une chose et son interprétation par l'administration fiscale en est une autre, bien entendu. La probabilité d'un contrôle devient de plus en plus grande et, en cas de contrôle, il devient beaucoup plus difficile d'avancer des arguments convaincants pour expliquer pourquoi, dans ce cas, le système peut effectivement être appliqué.

"L'inégalité et l'incertitude persistent. Tant les designers, les copywriters et les créateurs de contenu indépendants que les talents créatifs ayant le statut de salarié entrent dans le champ d'application de la législation, mais le gouvernement refuse de reconnaître ouvertement et de manière transparente leur droit au régime fiscal. En faisant de chaque demande une négociation et en ne prenant pas de décisions, les auteurs - et leurs éventuels employeurs - vivent dans l'incertitude financière et juridique. Ce n'est certainement pas un exemple de bonne gouvernance", a déclaré Patrick Marck de la FeWeb. "Nous demandons au nouveau gouvernement de faire preuve de clarté en traitant toutes les formes de créativité sur un pied d'égalité, avec ou sans certificat d'œuvre d'art ou carte de presse."

Cela signifie que toute personne profitant aujourd'hui du régime d'allocations ferait bien de se remettre en question et de vérifier sa situation par rapport aux nouveaux critères. Il convient également de procéder à une évaluation d'opportunité : quelle prestation est-ce que je fais sur une base annuelle, quel est le risque dans mon cas d'inspection et de requalification, quel est le coût associé et quelle est mon aversion au risque en tant qu'entrepreneur ? Tels sont les critères qui déterminent aujourd'hui si quelqu'un peut ou veut continuer à utiliser le régime des prestations.

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